L'oeil de ma rivale

Message entre rivales (motifs en forme d'yeux plissés par la jalousie) pour exprimer la connaissance de l'existence de l'autre.
Les fonctions du nouchi

Parlé en Côte d’Ivoire, le nouchi a une fonction cryptique qui consiste à coder le message, afin de retenir l’information à l’intérieur du sous-groupe. Cette fonction centrale est à l’origine de la naissance de ce parler. Mais, aujourd’hui, le nouchi s’étend quasiment à toutes les couches de la société ivoirienne, ce qui réduit sensiblement son caractère cryptique. L’usage du nouchi revêt aussi une dimension identitaire pour les jeunes. Cette revendication se situe à différents niveaux : identité en rapport avec la tranche d’âge, ce qui oppose jeunes et adultes ; identité par rapport au cadre de vie mettant face à face citadins et ruraux ; identité en relation avec le niveau socioéconomique qui met « pauvre et débrouillard » en contradiction avec « riche et cossu », et identité relative au niveau d’instruction opposant « illettré et déscolarisé » et « diplômé ». Le nouchi est, pour une jeunesse ivoirienne ballotée entre tradition et modernité, désarçonnée par une scolarité de plus en plus chaotique, un moyen de faire entendre son désespoir, et de revendiquer sa place dans la société. Enfin, la fonction véhiculaire du nouchi découle de la précédente, car il est devenu le mode privilégié de communication des jeunes quel que soit leur milieu social.

Le français comme on le parle : entre variété, emprunt et innovation

La langue française emprunte différents sentiers à travers le monde. Dans son expansion hors de France, cette langue s’est trouvée en contact avec d’autres langues qui l’ont enrichie et modifiée. Aujourd’hui, « La francophonie est multiple dans ses mots, dans ses accents, dans ses façons de dire les réalités ». Le français se renouvelle, se réinvente et n’hésite plus à transgresser les règles. Les mutations que connait cette langue à l’échelle de l’espace francophone sont particulièrement visibles dans les pays du Sud, essentiellement en Afrique.

Qu’il s’agisse de la question de l’intercompréhension nécessaire entre locuteurs pour pouvoir évoquer l’idée d’un espace linguistique et tirer parti des avantages qu’il procure, ou de celle de l’apprentissage fondée sur une norme commune, la pratique de différentes variétés de français mérite une attention particulière pour envisager les évolutions possibles de l’espace francophone.

Les variations sociolinguistiques du français sont relativement bien connues et ont même été inventoriées, y compris dans des dictionnaires spécifiques, que l’on retrouve sous les termes génériques d’africanismes (sic), de québécismes, belgicismes (“La minute belge”) et autres helvétismes. Innovation majeure, le Dictionnaire des francophones, lancé en 2021 grâce à la DGLFLF, est un dictionnaire collaboratif numérique ouvert qui a pour objectif de rendre compte de la richesse du français parlé au sein de l’espace francophone. C’est un projet institutionnel novateur, opéré par l’Institut international de la Francophonie (2IF) qui présente à la fois une partie de consultation au sein de laquelle sont compilées plusieurs ressources lexicographiques, et une partie participative pour développer les mots et faire vivre la langue française.

Plus largement, se développent et s’emploient de plus en plus des formes différentes issues de la langue française ou la combinant avec d’autres langues. Sans prétendre procéder à une classification scientifique qui occupe d’éminents chercheurs depuis fort longtemps, on peut distinguer trois grandes catégories (parfois poreuses) dans les variétés qui s’appliquent à la langue française : les variations de la langue qui peuvent être générées par le besoin de nommer des réalités endogènes (culturelles, climatiques, toponymiques ou liées aux espèces vivantes) ; celles qui naissent de l’interpénétration entre les langues donnant lieu à un enrichissement du français de termes ou de formes directement issus ou influencés par une ou des langues nationales ; celles, enfin, qui tirent leur origine de la volonté (ou de la nécessité) d’une partie des locuteurs de créer un langage codé, censé n’être compris que du groupe qui l’adopte (comme le nouchi en Côte d’Ivoire ou le Toli bangando au gabon) ou un langage qui leur permet de s’exprimer malgré leur lacune en français. Ce troisième phénomène est assez marginal, mais il est le plus porteur de risques de fragmentation de la francophonie.

Ce phénomène de la variation du français reste néanmoins largement un « impensé », du moins dans sa prise en compte dans les politiques d’aménagement linguistique et c’est pourquoi l’Observatoire de la langue française a initier une étude inédite intitulée « Pratiques et représentations sociolangagières des français en Francophonie » (PRESLAF) dont une synthèse a été rédigée pour l’édition 2022 de La langue française dans le monde.

De même, au Nord, la variété suisse – extrait LFDM-2014 du français, parlé par environ 65% de la population, se caractérise par de nombreux phénomènes de variation régionale interne et par des spécificités locales (car la variété de français utilisée en Suisse romande n’est pas homogène).

Le contenu des dictionnaires s’enrichit de ces variétés du français et de nouveaux termes :

  • Usito – extrait LFDM-2014 est le premier dictionnaire numérique général du français en usage au Québec ;
  • “Enrichissez-vous : parlez francophone ! Trésors des expressions et mots savoureux de la francophonie” du professeur Bernard Cerquiglini, publié en 2016 (édition Larousse) rend particulièrement bien compte de la vitalité du français ;
  • Le Dictionnaire des belgicismes, dirigé par Michel Francard, paru en 2010 (édition de boeck – duculot) célèbre une autre variété du français.

L’une des illustrations la plus célèbre de la créativité de la langue française est l’opération “Dis-moi dix mots”, initiée par le réseau des organismes de politique et d’aménagement linguistique de la Fédération Wallonie-Bruxelles, de la France, du Québec et de la Suisse romande (OPALE), en association avec l’Organisation internationale de la Francophonie. Une liste établie conjointement par ces partenaires chaque année sert de support à de nombreuses activités ludiques et pédagogiques et à des créations artistiques de tous ordres qui se déroulent principalement dans le cadre de la Journée internationale de la Francophonie, le 20 mars et des semaines ou mois de la langue française et de la francophonie. Elle a par exemple essaimé dans les écoles du monde entier sous la forme de joutes oratoires, d’épreuves de dessins ou d’exercices de traduction. Les 10 mots de l’édition 2022 étaient regroupés sous le thème « Dis-moi 10 mots qui (d)étonnent ! » : décalé, divulgâcher, ébaubi, époustouflant, farcer, kaï, médusé, pince-moi, saperlipopette, tintamarre.

L’évolution inéluctable de la langue française doit être parfois accompagnée, notamment dans des domaines spécialisés comme l’économie, les technologies de l’information et les sciences, et c’est là tout le défi des commissions spécialisées de terminologie et de néologie des pays francophones qui mettent en place de véritables dispositifs de coopération pour l’enrichissement de la langue française (voir « L’enrichissement de la langue française » – extrait LFDM-2014). L’Office québécois de la langue française tout récemment modernisé ses outils en lignes avec la Vitrine linguistique. Cette page permet notamment à l’Office de diffuser des articles et des fiches en vedette qui changent chaque mois, avec deux sections importantes : celle des lexiques et vocabulaires thématiques et celle qui est consacrée à la néologie. Cette dernière est périodiquement mise à jour afin de recenser les principaux néologismes créés ou répertoriés par l’Office.

Par ailleurs, l’OQLF assure le suivi de la situation linguistique au Québec, en publiant des rapports réguliers et des études spécifiques par domaine, classées selon l’année de publication.

oif_go_further_icoPour aller plus loin…

Appels sur l’actualité – Partie 1

Appels sur l’actualité – Partie 2